Chaire 4M

Figures de marins : penser la mer autrement

14/10/2024 16:47

La chaire Mers, Maritimités et Maritimisations du Monde (4M) de Sciences Po Rennes explore les multiples facettes de la mer, en mêlant dimensions spatiales, socio-culturelles et politiques. Dans ce cadre, une série de conférences mettra à l'honneur des invités représentatifs du monde maritime, autour de la thématique « Figures de marins ».

© Sciences Po Rennes

Organisée avec Explore et Sciences Po Rennes, cette première rencontre, animée par Christian Gouerou de Ouest-France, a eu lieu aux Champs Libres le 10 octobre dernier. Jimmy Pahun, navigateur, journaliste sportif et député, Virginie Saliou, docteure en sciences politiques, titulaire de la chaire 4M de Sciences Po Rennes, enseignante à l’École Navale et chercheuse à l’IRSEM et Charles Braine, pêcheur, ingénieur et militant écologiste, ont discuté de l’évolution du métier de marin et de sa perception.

Entre rêve et réalité : la figure du marin à l'épreuve du temps

La figure du marin, façonnée par de nombreuses productions culturelles, constitue un sujet d'étude intéressant dans le cadre des représentations socio-culturelles maritimes. Cet imaginaire a incité de nombreux jeunes à embrasser une carrière maritime, toutefois, il existe une dissonance entre cette image idéalisée et la réalité du métier.

En effet, Virginie Saliou met en lumière la dualité de la mer, opposant l’idée des vacances maritimes à la réalité souvent austère de la pêche et de la navigation commerciale. Longtemps perçue comme un symbole de liberté et d'évasion, la mer est également le théâtre d'enjeux pragmatiques liés à la survie et au travail. Ainsi, les marins ne peuvent plus être réduits de simples « conducteurs de train sur l’eau », mais doivent être compris comme des acteurs d'un secteur complexe et soumis à des conditions de vie difficiles.

En outre, le métier de marin pêcheur est marqué par une précarité croissante. Charles Braine, lui-même pêcheur, évoque les manifestations de 1994, révélatrices de tensions durables dans le secteur. Ce climat d'incertitude pousse de nombreux marins à envisager leur métier différemment, souvent motivés par la nécessité de subvenir aux besoins de leur famille, dans l'espoir qu'ils ne suivent pas la même voie.

Parallèlement, Jimmy Pahun met en avant la dégradation du statut social du marin, qui est passé d'une reconnaissance autrefois élevée à ladite précarité, affectant même les professionnels opérant dans les eaux françaises.  

Gouvernance maritime : gestion des frontières et des ressources

Concernant la façon dont les États appréhendent la mer, Virginie Saliou remet en question l’idée même de frontières maritimes, dans le sens qu’une approche strictement terrienne serait inadaptée à un environnement qui, par nature, est fluide et interconnecté. Les conceptions géopolitiques seraient donc souvent influencées par des paradigmes terrestres, négligeant les dynamiques propres aux espaces maritimes.

La convention de Montego Bay enracine les principes de liberté, de partage et de soutien entre États et mer, y compris pour les États non signataires. Toutefois, comme le souligne Jimmy Pahun, cette vision collaborative de l’espace maritime, où la mer est perçue comme un bien commun plutôt qu’un territoire à délimiter est tempérée par certains abus. En effet, l’utilisation détournée du droit de la mer par certains États pour justifier des appropriations excessives est révélatrice de tensions quant à l’exploitation des ressources maritimes.

Défis de la pêche : vers une gestion durable des ressources halieutiques

En France, la dépendance croissante aux importations de produits de la mer soulève des préoccupations sur la durabilité des ressources halieutiques. Selon Charles Braine, il existe un risque de conflits lorsque de nouveaux entrants s’installent dans des zones de pêches établies, qui, dans une logique de compétitivité, peuvent mener à des affrontements.

Virginie Saliou met en lumière le "delta" entre la pêche déclarée et la consommation réelle, incluant la pêche illégale. Bien que ce problème soit moins courant en Europe qu'en Chine ou en Russie, il compromet la gestion durable des stocks de poissons.