Diplômée de Sciences Po Rennes en 2003, Ludivine Grétéré est intervenue dans le cadre du plan de prévention santé mise en place à Sciences Po Rennes pour aider les personnes en situation de mal-être, et mener des actions de prévention pour la santé mentale. Un moment d’échange privilégié à la bibliothèque de l’établissement animé par deux étudiantes, Chloé Ianoco et Clotilde Berthelemy, afin d’aborder les troubles du comportement alimentaire, troubles auxquels a été confronté Ludivine pendant 20 ans.

Ludivine a écrit son roman Imparfaite pour faire résonner son histoire. Aujourd’hui entrepreneure, elle a cofondé une agence boite de de scénario et production audiovisuelle, avec notamment une série en compétition au Nikon Festival : RECORD. Un parcours où la curiosité et la résilience, ont joué un rôle clé dans sa guérison.
Comment avez-vous vécu votre parcours à Sciences Po Rennes ?
LG : Mes années à Rennes ont été très riches, mais aussi marquées par une grande solitude. J’ai même dû interrompre ma formation pendant un an parce que j’allais mal. À l’époque, il y avait très peu d’informations sur la santé mentale, et je me sentais isolée. Mes troubles alimentaires, je les vivais seule, dans le silence et la honte. La seule fois où j’ai osé en parler, c’était au directeur de l’IEP. Il a été d’une incroyable écoute, plein d’empathie. Il a compris que je n’étais plus en état de suivre les cours et m’a conseillé d’arrêter mon année.
Quand avez-vous commencé à écrire Imparfaite ?
LG : Quand je suis rentrée de Los Angeles à Paris en 2016, j’étais encore malade. Cela faisait vingt ans que je vivais avec des crises. Mon corps commençait à lâcher. J’ai compris que si je ne faisais rien, je ne m’en sortirais jamais. Pourtant, les thérapies ne marchaient pas sur moi. J’étais dans un tel déni que c’était presque une façon de survivre. C’est à ce moment-là que j’ai recroisé par hasard un ancien collègue devenu auteur. Il m’a encouragée à écrire chaque jour. Pour la première fois, j’ai écouté quelqu’un. En six mois, j’ai écrit mon premier roman… et en six mois, j’ai arrêté les crises quotidiennes. L’écriture a été un élément décisif dans ma guérison. En relisant mon manuscrit, une scène m’a marquée plus que les autres. C’est cette scène qui est devenue le point de départ d’Imparfaite. J’ai su que je devais écrire sur cette maladie et en faire quelque chose.
Mia, son silence, sa solitude… En quoi ce personnage est-il inspiré de votre vécu ?
LG : Ce texte est profondément personnel. Il est né de ce que j’ai vécu, mais je ne voulais pas écrire une autofiction. Mon but était d’aller au-delà de ma propre histoire pour toucher à quelque chose d’universel. Je voulais que la maladie prenne corps, qu’elle ait une voix, qu’elle soit un personnage à part entière. C’est ainsi qu’Imparfaite a vu le jour, un texte que j’ai commencé à écrire fin 2019. J’ai terminé une première version juste avant le confinement. Au départ, je l’écrivais pour moi, et c’était extrêmement difficile de sortir ces mots, mais cela m’a fait un bien incroyable. J’ai toujours cru en la force cathartique de l’écriture. On ne réalise pas à quel point cela peut être salvateur, même si cela demande de l’effort immense.
Y’a-t-il une forme de libération de la parole concernant les TCA ?
LG : Oui, la parole se libère, mais je trouve que le sujet n’est pas encore pris au sérieux par les pouvoirs publics. L’impact des réseaux sociaux sur la santé mentale est immense, et il n’y a pas de réelle prise de conscience à ce niveau. Les troubles alimentaires sont des maladies dont il est très difficile de sortir. Comme toute addiction, cela demande un accompagnement de longue durée. Aujourd’hui, on parle davantage des troubles du comportement alimentaire (TCA), et pourtant, leur nombre ne cesse d’augmenter en France. Les réseaux sociaux jouent sans aucun doute un rôle majeur dans cette tendance. Ces plateformes ne favorisent pas du tout la guérison ; au contraire, elles entretiennent souvent cette spirale destructrice.
Comment lutter et prévenir ces troubles auprès des jeunes générations ?
LG : Je crois énormément à la prévention. Plus un trouble alimentaire est détecté tard, plus il est compliqué de s’en sortir. C’est donc essentiel de mettre en place des actions concrètes dès le plus jeune âge. Les pouvoirs publics devraient davantage agir pour sensibiliser à ces problématiques, parler de santé mentale et de l’impact des réseaux sociaux. Il faut aussi essayer de repenser la manière dont on aborde l’estime de soi à l’école tout particulièrement. On est très vulnérable aux regards et aux jugements des autres, ce qui peut conduire à des spirales de comparaison destructrices. Des cours d’empathie et d’éducation à l’estime de soi pourraient être une solution pour apprendre aux jeunes à s’aimer et se faire confiance.
En quoi votre roman Imparfaite peut-il contribuer à briser les tabous autour des troubles alimentaires et à encourager une prise de conscience collective ?
LG : Avec Imparfaite, je souhaite faire comprendre le mécanisme de l’addiction alimentaire. Mais je veux avant tout transmettre un message de compréhension et de soutien pour celles et ceux qui traversent ces épreuves.
Les TCA peuvent commencer très tôt. C’est cette petite voix intérieure qui naît et qui, progressivement, vous dévalorise. C’est un schéma de pensée négatif qui s’installe et détruit peu à peu. Mon livre est aussi une forme de prévention : il vise à sensibiliser, à encourager une meilleure prise en charge et à rappeler que la compréhension et l’écoute sont essentielles pour aider les personnes concernées.
J’ai d’ailleurs tenu à être très précise dans la manière dont j’ai décrit cette maladie à travers mon personnage, presque de façon chirurgicale. L’idée était de montrer de manière brute et réaliste ce que cela représente au quotidien. En écrivant, j’ai voulu rendre visible cette réalité, montrer qu’il s’agit d’un phénomène distinct de soi, une entité qui s’impose et qui dépasse parfois notre volonté.
J’ai personnellement trouvé dans les livres des réponses qui ont changé ma vie et ma manière de penser. La lecture et l’écriture sont des portes de sortie, des moyens d’appréhender le monde différemment et de s’épanouir. C’est un message que je porte aussi : cultiver sa curiosité intellectuelle peut aider à s’extraire d’un mal-être profond et à se reconstruire.
Cette rencontre a été organisée dans le cadre de la promotion du bien être mental et de la santé. Sciences Po Rennes a mis en place une cellule de veille et d'écoute dont la mission qui a un rôle d'information, de sensibilisation et d'accompagnement vers les interlocuteurs appropriés.
