Retour sur la conférence du journaliste et écrivain Kamel Daoud intitulée « L’Algérie au passé et au présent » à l'auditorium Les Champs Libres. Dans le cadre d'un partenariat, les étudiants du module projet "a la Rencontre d'intellectuels Contemporains, des étudiantes et étudiants de 4ème année de Sciences Po Rennes ont pu s'entretenir avec Kamel Daoud, l'un des "grands témoins" invité des Champs Libres.
« Je suis écrivain et je suis algérien, ce sont deux métiers difficiles »
« Je rêvais d’écrire les livres qui nous manquaient ».
La rentrée littéraire a été marquée par la sortie récente du livre Houris, roman écrit par Kamel Daoud, journaliste et écrivain algérien, naturalisé français, lauréat du Prix Goncourt du premier roman en 2015.
Né en 1970, Kamel Daoud « est un enfant de l’indépendance ». Il a pourtant grandi dans une Algérie secouée par des conflits et des tensions politiques. Sa carrière débute en tant que journaliste, au Quotidien d’Orient, au moment où l’Algérie traverse la guerre civile pendant « la décennie noire ». Il couvre alors des massacres et raconte une réalité empreinte d’horreur et d’indicible. Il écrit alors pour « être témoin de son époque ». L'écrivain algérien, visé par une fatwa dans son pays d'origine, a d’ailleurs reçu le Goncourt du premier roman pour Meursault, contre enquête.
Dans son dernier roman houris, Kamel Daoud veut raconter ce qui, pour beaucoup, reste indicible. En effet, dans son roman, l’écrivain algérien rappelle qu’il est interdit depuis 2005 en Algérie, d’évoquer la guerre civile, sous peine d’emprisonnement. À travers ce récit d’une guerre oubliée où il met en scène plusieurs victimes de la « décennie noire », il raconte comment ce silence imposé dessine le destin d’un pays encore à vif, avec ses cicatrices profondes et ses luttes identitaires qui persistent.
« La mémoire, c’est l’imagination du passé »
Cette question de la mémoire et de l'oubli est d’ailleurs revenue comme un leitmotiv pendant la conférence. Pour Kamel Daoud, l’oubli est un processus naturel chez l’humain et encore présent dans la société algérienne. Pourtant, comme il l’explique, « Le passé est quelque chose dont nous avons besoin, le présent en revanche, nous l’habitons ». Les épisodes tragiques de la guerre civile algérienne, qu’il qualifie de « guerre cachée », ont marqué les esprits des Algériens et ont été effacé. Face à cette « histoire faussée, oubliée », Kamel Daoud considère que rétablir la vérité est essentielle pour les générations futures. Il appelle à ne pas céder à « cette mémoire faussée qui se perpétue ».
« On ne peut pas faire des romans avec des idées, mais avec des émotions »
Si Kamel Daoud se distingue par son engagement intellectuel, il n’en reste pas moins un écrivain qui privilégie l’émotion à l’idée dans ses œuvres littéraires. Les personnages qu’il crée sont ainsi « des solutions émotionnelles » face à des réalités parfois insupportables. Face à l’indicible, la littérature devient alors un moyen de dire ce que les mots, souvent, peinent à exprimer directement. L’auteur s’évertue au coeur de ses oeuvres de répondre perpétuellement à cette question « Comment raconter ce que l’on ne peut pas raconter ? ». Si l’écrivain souhaite faire publier Houris en Algérie et au Maroc, il n’a pour le moment essuyé que des refus.
Un pont entre deux époques : l'exposition Raymond Depardon et Kamel Daoud
En parallèle de cette rencontre, une exposition photographique de Raymond Depardon est proposée jusqu’au 5 janvier 2025. Photographe de renommée mondiale, Depardon a réalisé ses premiers reportages en Algérie en 1961, au moment où le pays se battait pour son indépendance. En 2019, il retourne en Algérie, accompagné de Kamel Daoud, pour immortaliser à nouveau ce pays aux multiples visages. Cette collaboration a donné naissance à un livre et une exposition mêlant les photographies de Depardon et les textes de Daoud. Les images et les mots se répondent, comme pour offrir au public une réflexion sur la complexité politique, historique de ce pays et la persistance de ses blessures.
>> Lire l'entretien de Kamel Daoud réalisé par Margaux Anne, Paloma Biessy, Gwenn Canevet, Philomene Cantin, étudiantes de Sciences Po Rennes, sur ses espoirs dans la nouvelle génération face aux atteintes aux droits des femmes et au travail de mémoire en Algérie.
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